Ballard et « La route »

La mort récente de J.G. Ballard m’a rappelé à quel point j’ai aimé ses livres, il y a quelques années. Et je ne pense pas particulièrement à des titres comme Crash ! ou I.G.H, dont l’originalité et la violence moraliste sont reconnus de tous, mais plutôt à ses premiers romans écrits dans une veine post-apocalyptique : Le Vent de nulle part, Sécheresse et le Monde englouti.

La lecture en continu des trois textes n’est d’ailleurs pas recommandée, tellement ce sont des déclinaisons proches d’une même thématique : à la suite d’une catastrophe naturelle majeure (provoquée ou pas par la mauvaise gestion écologique des hommes) quelques rescapés doivent reconstruire une vie possible malgré la nature (très) hostile et le retour vers la barbarie des survivants. Ce qui fait la force de cette science-fiction moderne, c’est la qualité de l’écriture. A la fois poétique, lyrique, précise et cinématographique. Ballard est un styliste discret et un moraliste impitoyable. (Pour un versant plus encore poétique et baroque de son oeuvre, je conseille très chaleureusement la lecture de Vermilion Sands).

J’en étais là de mes remémorations ballardiennes en apprenant sa mort à la radio (France Inter ou Info, c’est dire l’influence de ce presque octogénaire britannique sous nos contrées moins sensibles à l’anticipation habituellement).

Et s’imposa le lien avec le seul livre qui m’ait vraiment capté ces derniers mois : La route de Cormac McCarthy. Non pas que je sois particulièrement adepte du genre post-apocalyptique, même si, à la réflexion, cela a souvent produit des choses intéressantes notamment sur le plan esthétique. Mais il me semble qu’il y a chez McCarty comme chez Ballard une vibration semblable, ce goût du désastre, la beauté de la catastrophe et l’horreur de l’homme livré à ses instincts. Mais aussi la beauté de l’humanité lorsqu’elle transcende l’animal et sa fragilité. Le grotesque enfin : réduit à pousser un chariot de supermarché sur des routes infestées de presque « zombis » cannibales, l’homme se poursuit dans le souvenir de ce qu’il a perdu au risque de s’y dissoudre et s’y perdre.

A quarante ans d’écart, la catastrophe de McCarthy est étrangement semblable à celle de Ballard, écologique, culturelle et morale. Mais le propos est pourtant radicalement différent : au positivisme concret de Ballard (qui n’exclut pas un pessimisme primordial) s’oppose la vision biblique (ou anti-biblique) de McCarthy. Au bout de la route, ce sera la renaissance ou la disparition mais l’héritier (le fils) est bien le porteur de l’humanité, la petite flamme vacillante que lui transmet le père, dernier témoin d’un monde à jamais effacé des mémoires, ne subsistant plus que par ses épaves.

Pour Ballard, l’enfant n’est pas forcément un héritier, il peut être une menace, contre l’ordre établi, contre la civilisation. Et le premier à s’adapter à une barbarie en laquelle il meut librement. (cf. le terrifiant Sauvagerie (Running Wild d’abord traduit Massacre de Pangbourne ) ou même les souvenirs d’enfance de Ballard dans Empire du soleil).

McCarthy est plus contemporain : il constate mais ne répond pas. Car le sens est dans le lecteur, donc dans la littérature. Pas ailleurs. Seule la nature, détruite, frémissante, suffocante, impose sa magistrale indifférence.